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Le pacifisme militant du pape au Caire

19 juillet 2017

 

Lors de son voyage au Caire, en avril dernier, le pape a complété sa vision sur les rapports entre violence et religion. Toute violence est incompatible avec une religion authentique qui se met au service du bien, de la vérité, des hommes et de Dieu. Il indique quelques moyens et lance un appel à tous pour propager la non-violence.

 

Lors de la conférence organisée par Al-Azar, le pape François et le grand imam cheikh Ahmed al-Tayeb, s’embrassent en signe de messagers de la paix. Le Saint Père commence et termine son discours par la salutation sémite Al Salamò Alaikum, « que la paix soit avec vous ! ». Il évoque le rôle que les rives du Nil ont joué comme terre de civilisation, d’alliances, d’éducation, et qui invite à davantage de responsabilités dans l’édification d’une paix durable, digne de l’homme et de Dieu salam, Dieu de la paix, Miséricordieux. Le pontife jalonne son discours de phrases lapidaires : l’unique alternative à la civilisation de la rencontre, c’est la barbarie de la confrontation ; ensemble, affirmons l’incompatibilité entre violence et foi, entre croire et haïr ; la religion (…) a la vocation de promouvoir la paix ; aucune violence ne peut être perpétrée au nom de Dieu, parce qu’elle profanerait son Nom ; aucune incitation à la violence ne garantira la paix.

Le pape, en référence à l’alliance mosaïque du Mont Sinaï, oppose le 5ème commandement à la tentation de la violence au nom de Dieu : tu ne tueras point ! (Ex 20, 13), inscrit par Yahvé dans des tables de pierre, mais aussi dans le cœur de tout homme. Néanmoins, cette tentation est entretenue par le poison de l’orgueil et du fanatisme : un croyant fier, présomptueux ou abusé, plus zélé pour son faux dieu que pour le Dieu véritable, peut se croire investi d’une mission supérieure, ou d’avoir la permission divine de tuer, de mépriser et d’instrumentaliser la vie des autres. Examinons à ce propos, la correction catégorique de Jésus dans Lc 9, 54-56. Jacques et Jean s’insurgent contre des mécréants en proposant que le feu descende du ciel et les consume. Jésus les réprimande vivement : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés ! Le Fils de l’homme est venu, non pour perdre les hommes, mais pour les sauver ! » Dans cette ligne, le pape repose cette question : de quel esprit êtes-vous animés ? Examinons bien notre conscience ! Y trouvons-nous un désir de violence, d’animosité, de haine contre les autres religions ou la religion en général, contre ceux qui nous contredisent ? Les conflits que nous ruminons prévalent-ils sur notre devoir de fraternité envers tous ? Pour être efficace, le pape propose un refus clair de la violence. Le pape a précisément accepté l’invitation du grand imam, pour implorer ensemble les religions à diffuser le message urgent de paix.

Une autocritique trop conciliante qui nuit à la vérité ?

Dans un forum sur le site du journal italien l’Avvenire, l’auteur catholique d’un article paru en janvier estimait que le catholicisme serait aussi coupable d’atrocités que les autres religions, parce que bien que Jésus ait proclamé la paix et la justice, les faits historiques ont démontré le contraire. Il cite les croisades, le massacre des albigeois, l’exécution de Giordano Bruno, etc. Et selon lui, comme les faits ont plus de valeur que les idées, le catholicisme ne vaut pas mieux que les autres.

Il est vrai que Jésus lui-même affirme que l’on reconnaît l’arbre à ses fruits, et ses véritables disciples à l’amour tangible qu’ils manifestent envers les autres. Cependant, je pense que le journaliste tombe dans le piège d’une contradiction et d’une erreur de jugement sur la religion catholique et même sur d’autres religions. Vouloir à tout prix donner la même valeur à toutes les religions peut nuire à la vérité. Il y a eu des religions indignes de l’homme dans l’histoire de l’humanité, organisant des sacrifices humains abominables.

Distinguer les faits et les idées qui priment, pour ne pas se contredire

Il importe de distinguer les faits et idées dont on parle. Ne serait-ce pas justement des « idées » morales, comme celles exprimées par Jésus, qui permettent de juger de la valeur de l’arbre sur la base des faits tangibles (les fruits) ? Si les idées valent moins que les faits, comment les idées du journaliste, qui ne sont qu’un plagiat de celles de Jésus et de tout bon catholique, peuvent-elles se permettre de juger les faits historiques qu’il cite ? Ses idées ou celles de Jésus, ne sont-elles pas supérieures aux faits qu’il juge ? Au fond, si certaines idées morales n’étaient pas supérieures aux faits, aucun jugement ne pourrait jamais être porté contre ceux-ci.

De plus, ne risquerions-nous pas d’admettre que le mal ait déjà eu le dernier mot, sans attendre que justice soit faite ? Voilà le véritable fait qui vaut plus que les idées et les faits humains : la justice et la miséricorde divines. Sans celles-ci, nous pourrions désespérer de la victoire du bien sur le mal, de la justice sur l’injustice, de l’amour sur la haine. Les actions passées, présentes et futures sont et continueront d’être jugées par les croyants et les non-croyants, sur base de la dignité de l’homme et d’une morale universelle. Le pape s’appuie d’ailleurs sur cette base universelle pour nous inviter tous à lutter contre la violence et l’injustice. Autrement, au nom de quelles idées pourrions-nous condamner les violences de l’histoire, des religions, et celles faites au « nom de Dieu » ? Cette référence universelle rejoint parfaitement le message de la Bible et de Jésus, qui nous conseillent de ne pas juger selon les apparences, sans avoir entendu les parties, d’éviter les jugements téméraires de peur d’être jugés à notre tour (Mt 7, 1 ; Jc 3, 13-15), de ne juger définitivement de rien avant la fin (1 Co 4, 5), de juger de la valeur d’un arbre aux fruits qu’il donne … ou donnera, parce que Dieu est patient envers tous. Enfin, Jésus garantit que le mal n’aura pas le dernier mot.

Mais ce fait ultime, ce jugement dernier, ne nous dispense pas de lutter contre la corruption, et de diffuser le bien. Au contraire, le pape ne cesse de critiquer la corruption, surtout parce qu’elle est source de violence. La violence est une force qui tend à contraindre ou dominer, souvent de manière injuste et immorale, une personne contre sa volonté. Violence et corruption s’amplifient l’une l’autre dans une spirale que seule la raison et la bonté courageuses peuvent arrêter.

La religion fait partie de la solution, et non le mensonge sur la religion

Pour le Saint Père, il faut commencer par vivre personnellement les dix commandements, par lutter contre les violences et les corruptions à notre portée. De fait, les violences les plus répandues, qui déclenchent la spirale, parfois par une éducation asociale et égoïste, sont les violences ordinaires, domestiques, urbaines, à l’école, dans les lieux de travail ou sur internet : intimidations, bullying, harcèlements, mépris, chantages, abus, débauches, favoritismes, subornations, diffamations, mensonges, … Le pape affirme que la violence (…) est la négation de toute religiosité authentique, et que la religion n’est pas un problème mais fait partie de la solution. Il recommande de former les jeunes générations à une identité non repliée sur elle-même, qui isole et engendre des violences. La religion éduque à la moralité, à l’ouverture et au respect d’autrui, à une éthique de fraternité, à élever l’âme vers le Haut.

Il y a une injustice mensongère, une corruption de la vérité, lorsqu’on ne focalise l’attention que sur les erreurs et les fautes pour ne présenter qu’une caricature biaisée ou trafiquée de l’histoire qui tait délibérément les innombrables bonnes œuvres réalisées par l’Eglise, les religions et les croyants. Comment « oublier » tous les persécutés au long des siècles, la longue liste des premiers papes, tous martyrs, les innombrables inconnus, encore aujourd’hui emprisonnés ou décapités pour leur foi ou leur défense des droits de l’homme, ou encore ces saints comme le père Damien, mère Teresa, Vincent de Paul, François d’Assise, les millions de missionnaires qui ont donné et donnent leurs vies pour les pauvres, les affamés, les sans-logis, les déprimés, les étrangers, les prisonniers, etc. ? Qui peut honnêtement prendre la place de Dieu et juger l’histoire pour condamner le catholicisme, en citant les méfaits de quelques papes sur les 266 qui ont existé, ou ceux de certains « criminels ecclésiastiques » (que les paroles de Jésus condamnent par ailleurs), tout en passant sous silence les innombrables bienfaiteurs et leurs excellents fruits accumulés pendant 2000 ans ? Ce serait condamner les disciples de Jésus à cause du cas de Judas, très malheureux par ailleurs !

Le pape voit une autre corruption de la vérité qui confond la sphère religieuse et la sphère politique, ou qui absorbe la religion dans les affaires temporelles (…) et le mirage des pouvoirs mondains, bref, lorsqu’on lui enlève son message transcendant, son salut messianique, sa spiritualité métahistorique.

Quelques moyens pour lutter contre la violence

Le pape propose à tous de faire des efforts sur plusieurs fronts :

  1. La formation, l’éducation et l’instruction, spécialement des jeunes défavorisés, proies faciles des extrémismes et des violences.
  2. Le blocage des flux d’argent et d’armes, autant que de leur production, pour prévenir les conflits et édifier la paix.
  3. L’engagement personnel à bâtir la paix, convoqué par Dieu et par l’avenir.
  4. L’exclusion de toute absolutisation qui justifie des formes de violence.
  5. L’ouverture à l’Absolu jointe à la lutte contre l’égoïsme.
  6. La prière commune et personnelle qui demande à Dieu le don de la paix.
  7. Le dialogue interreligieux.

Le pontife reconnaît que la diversité religieuse peut être un obstacle, et qu’un dialogue interreligieux est nécessaire, mais il estime que son efficacité dépendra de trois conditions essentielles pour transformer la compétition en collaboration : 1) le devoir de l’identité, 2) le courage de l’altérité et 3) la sincérité des intentions. Il fustige les populismes démagogiques et les syncrétismes conciliants qui n’aident pas à consolider la paix et la stabilité.

Espérons au moins que chacun écoute les paroles du pape et tente de les mettre en pratique dans sa vie quotidienne, sans se laisser entraîner par les désirs de violence et de corruption qui gangrènent le monde, mais en participant à un autre désir, celui de la paix, de l’amour pur et de la charité fraternelle selon les paroles du pape : aujourd’hui, il faut des bâtisseurs de paix, non des armes, … des pompiers et non des pyromanes.

Philippe Dalleur est prêtre, Docteur en Sciences Appliquées et en Philosophie. Il enseigne la philosophie de la biologie à l’Université Pontificale de la Sainte Croix.