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SIDA et « justice immanente »

21 octobre 2010

Mgr André-Joseph Léonard verrait dans l’épidémie du sida « tout au plus une sorte de justice immanente, pas du tout une punition ». Pourquoi cette affirmation a-t-elle suscité tant de réactions ?

 

Dans un livre publié il y a quatre ans, et récemment traduit en néerlandais, en réponse à une question sur le sida et plus précisément sur la possibilité que cette maladie soit une « punition de Dieu » pour la libération sexuelle, Mgr Léonard disait : « On a posé à Jean-Paul II un jour cette question-là : “Est-ce que le sida est une punition de Dieu ?” Il a répondu avec beaucoup de sagesse : “Il est très difficile de connaître les intentions de Dieu.” Pour ma part, je ne raisonnerais pas du tout en ces termes. Tout au plus je verrais dans cette épidémie une sorte de justice immanente, pas du tout une punition. Un peu comme, sur le plan écologique, quand on malmène l’environnement, il finit par nous malmener à son tour. Et quand on malmène l’amour humain, peut-être finit-il par se venger, sans qu’il faille y faire intervenir une cause transcendante. Peut-être s’agit-il d’une justice immanente, mais quant aux causes immédiates, ce sont les médecins qui seront aptes à dire où cette maladie est née, comment elle s’est transmise au début, quelles ont été les voies de sa propagation… Si vous souhaitez une considération plus générale, je la verrais plutôt dans l’ordre d’une certaine justice immanente. Malmener la nature physique amène celle-ci à nous malmener, et malmener la nature profonde de l’amour humain finit toujours par engendrer des catastrophes à tout niveau » .

Des réactions et des précisions

Curieusement, alors que ces propos datent de 2006, leur publication récente en néerlandais a suscité un tollé. Quelques réactions : des propos qui constituent « une culpabilisation totalement insensée des personnes atteintes du sida », des déclarations « aussi stupides que discriminatoires », des « propos nauséabonds », une affirmation « totalement indigne » qui « stigmatise les malades qui sont avant tout les victimes », une doctrine « d’un autre temps en total décalage avec le message de tolérance et d’attention aux plus faibles » ( La Libre Belgique , 15-10-10).

Dans une conférence de presse, le 15 octobre dernier, Mgr Léonard a précisé certains points :

  • le contexte de sa déclaration montrait à l’évidence que ses propos s’appliquaient aux relations sexuelles multiples, pas aux cas de transmission verticale mère-enfant ou de contamination par transfusion.
  • quant au concept de « justice immanente », Mgr Léonard pense qu’il n’a pas été bien compris : « Si le cancer des poumons est la conséquence de fumer abusivement, alors le cancer est quelque chose de l’ordre d’une sorte de justice immanente, car dans les faits même qu’on accomplit consciemment se trouve la cause d’une conséquence dont on peut dire par la suite qu’elle est une conséquence logique. Pour moi, c’est la même chose pour le sida envisagé comme conséquence d’un comportement sexuel changeant »
  • à la page suivante du passage incriminé, Mgr Léonard disait textuellement : « les sidéens et les séropositifs ne doivent faire l’objet d’aucune discrimination. Il n’y a aucune raison de faire preuve de discriminations. Ces personnes doivent être accueillies comme toute autre personne ; quelle que soit l’origine de leur maladie, elles doivent être entourées, encouragées, respectées »
  • enfin il s’est défendu de condamner qui que ce soit : « vous ne m’entendrez jamais les condamner. Je ne juge pas les hommes mais certains comportements ; je ne juge donc que des pratiques » ( La Libre Belgique , 16-10-10).

Pourquoi ces réactions ?

Ce qui frappe, c’est la vigueur et le nombre des réactions. Certaines sont tout à fait compréhensibles : les personnes séropositives ou malades du sida sont évidemment hypersensibles à tout discours concernant l’épreuve qu’elles traversent. Elles méritent tout notre respect.

D’autres réactions sont plus inattendues, parce que précipitées, superficielles et provenant souvent d’hommes et de femmes politiques, dont on pourrait attendre une certaine pondération. On a souvent eu l’impression que les protagonistes n’avaient pas pris connaissance des propos exacts de Mgr Léonard ni de leur contexte.

La critique va dans deux sens : le manque apparent de miséricorde et la remise en question de la liberté sexuelle.

Mgr Léonard manque-t-il de miséricorde ?

Concernant le prétendu manque de miséricorde, il m’apparaît qu’il y a ici une confusion entre deux ordres de réalité : la miséricorde est une manifestation de la charité et s’adresse aux personnes, tandis que l’approche d’une épidémie est une question scientifique, centrée sur les faits, dans toute leur rigueur et toute leur froideur.

Si, comme la science l’a démontré, le tabac nuit à la santé, et que je mets un patient en garde contre les dangers du tabac, est-ce que je manque de miséricorde vis-à-vis de ce fumeur ? Suis-je « fumeurophobe » ? De même, si l’on met la personne homosexuelle en garde contre certains comportements universellement admis comme risqués, est-on homophobe ? Manque-t-on de miséricorde ?

La véritable charité n’exclut pas la vérité : c’est précisément parce qu’on se préoccupe du sort des personnes qu’il faut signaler les dangers qui les menacent. Se taire ou occulter la vérité au nom d’une sensiblerie stérile ou d’un intérêt caché est criminel. Il se peut qu’un jour, lorsqu’on ouvrira enfin les yeux, on accusera de « non assistance à personne en danger » ceux et celles qui n’ont pas éclairé les gens sur les comportements sexuels à risque.

Le nœud de la question

Quant à l’atteinte à la liberté sexuelle, on voit qu’elle constitue l’enjeu de toute la controverse. On reproche à Mgr Léonard de ne pas être en phase avec la société moderne. On oublie qu’un évêque n’est pas nommé pour plaire au monde, mais pour proclamer la doctrine de Jésus-Christ (même si, en l’espèce, Mgr Léonard n’a fait qu’énoncer un constat basé sur l’observation de la réalité).

Depuis les années 60 s’est développée une véritable idéologie du free sex : il faut pouvoir faire l’amour avec n’importe qui, n’importe quand et n’importe comment. On nous présente cela comme un grand acquis de la société moderne.

Comme toutes les idéologies, c’est un système fermé de pensée, qui emprisonne l’esprit. Les arguments rationnels ont peu de prise sur les idéologies, qui s’érigent en véritable dictature dans le monde de la pensée. Contester l’idéologie dominante est passible de la peine capitale : le lynchage médiatique, comme l’a souligné le Grand Rabbin Guigui, sur RTL-TVI, dans l’émission Controverse , du 17 octobre dernier, en parlant du cas de Mgr Léonard.

La seule réponse que l’idéologie du free sex apporte à la pandémie du SIDA, c’est la stratégie du « tout au préservatif ». Elle rejette d’emblée la possibilité de changer les comportements dangereux. Comme l’a très bien souligné Benoît XVI, en mars 2009, elle ne fait qu’aggraver le problème. Les études des épidémiologistes le démontrent. Réagissant aux propos de Benoît XVI, Edward Green, professeur à Harvard, expert dans la prévention du SIDA, auteur de 5 livres et de 250 articles scientifiques sur la question, disait : « The pope is actually correct ». Et il précisait que la stratégie du « tout au préservatif » est portée « not by evidence, but by ideology, stereotypes, and false assumptions »  [1].

Si tous les Belges roulaient à 180 km/heure sur nos autoroutes, que devraient faire les autorités ? Promouvoir une campagne en faveur du port de la ceinture de sécurité ? Ce serait absurde, pour deux raisons : 1) à cette vitesse, avec ou sans ceinture, personne ne réchappe d’un accident ; 2) cette campagne aurait un effet pervers en transmettant implicitement le message qu’on peut continuer de rouler à 180 km/heure. La seule solution est un travail d’éducation pour (se) conduire de façon plus responsable.

C’est ce que l’Eglise fait dans le domaine de la sexualité : favoriser un changement de conduite. Le fait que certains de ses prêtres aient donné un terrible contre-exemple dans ce domaine nous invite à l’humilité mais n’invalide pas le message du Christ.

La « liberté sexuelle » ne résulte pas du défoulement « tous azimuts » de la pulsion sexuelle, ce qui s’apparenterait plutôt à un esclavage, voire une véritable addiction. La véritable liberté sexuelle naît de la maîtrise, de la souveraineté exercée sur le royaume de nos pulsions, de nos sentiments, de notre affectivité. Elle est une véritable possession de soi au service du don de soi total, définitif et exclusif. Un don que l’on fait à l’autre, dans son altérité fondamentale, à savoir l’altérité sexuelle, mu par un amour qui, comme tout amour véritable, est ouvert à la fécondité.

Stéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie. Voir aussi Afrique et sida : vers une nouvelle stratégie. Ce texte a fait l’objet d’une correction le 23-1-14 et le 15-4-17.

[1] http://www.mercatornet.com/articles/view/african_aids_the_facts_that_demolish_the_myths/