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Mourir dans la dignité?

29 août 2013

Tout le monde veut mourir dans la dignité. Mais qu’est-ce que cela signifie ? La conception de la dignité humaine varie beaucoup selon que l’on est partisan ou adversaire de l’euthanasie. Le Comité Consultatif National d’Ethique (en France) a remis le 30 juin dernier un avis (n. 121) sur la question de la fin de vie. Nous en avons sélectionné un passage particulièrement éclairant.

 

C’est devenu, au gré de sondages aux questions souvent trop sommaires — dont on peut noter qu’ils ne s’adressent presque jamais aux personnes « en fin de vie » — et d’une présentation trop schématique des enjeux du débat par des media ou des militants, une sorte d’évidence : autoriser l’euthanasie répondrait au souhait de garantir que les personnes puissent en toute circonstance « mourir dans la dignité ». Dans le même temps, le principe de dignité est mobilisé par les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté.

Deux conceptions différentes

Il existe en réalité, ainsi que le Comité a déjà eu l’occasion de le relever, deux usages très différents de ce terme.

Les partisans de la mort choisie se réfèrent à une conception subjective ou personnelle de la dignité : la dignité est ici entendue comme un regard que l’individu porte sur lui-même en fonction de ses valeurs, de ses désirs, des relations qu’il entretient avec ses proches, regard qui peut donc varier du tout au tout d’un individu à l’autre, et subir une altération lorsque la vieillesse ou la maladie se font plus présentes, selon l’image que les autres lui renvoient. La dignité renvoie ici à une dimension normative (à une manière d’être, à la bonne image de soi que l’on présente à soi-même ou à autrui, ou au fait d’être présentable selon des normes très variables dans le temps et dans l’espace, à la décence). La dignité, c’est aussi cette vertu stoïque selon laquelle chacun doit être capable de se maîtriser, de ne pas infliger à autrui le spectacle de sa détresse.

Dans cette acception, le droit à mourir dans la dignité correspond à la prérogative qui serait celle de chacun de déterminer jusqu’où il juge acceptable que soient entamées son autonomie et sa qualité de vie. Cette demande doit avant tout être mise en rapport avec les situations objectives d’indignité qui, ainsi qu’il a été relevé plus tôt, sont le lot de trop nombreuses personnes handicapées ou dépendantes. Pour d’autres, la demande d’un « droit à mourir dans la dignité » correspond davantage à l’affirmation de l’autonomie de la personne ; elle est en fait une expression de sa liberté individuelle et de la possibilité d’opposer celle-ci à des tiers.

Dans une autre conception, qui est celle que la tradition moderne place au fondement des droits de l’homme, la dignité revêt un sens ontologique, elle est une qualité intrinsèque de la personne humaine : l’humanité elle-même est dignité, de sorte que celle-ci ne saurait dépendre de la condition physique ou psychologique d’un sujet. La dignité est entendue ici comme ce qui exprime l’appartenance de chaque personne à l’humanité, comme la marque profonde de l’égalité des individus, une réalité morale qui qualifie l’être humain dans son existence et implique des devoirs à son égard.

Les implications de ces deux conceptions

Le problème n’est pas de prendre parti entre ces deux usages de la notion de dignité, mais de mesurer ce que signifie leur maniement dans le débat sur la volonté de choisir le moment de sa mort. A cet égard, les différences sont très grandes.

La dignité entendue comme absolu est inaliénable — celui qui est mentalement et physiquement diminué ne la perd pas — et non quantifiable. A cet égard tous les hommes ne naissent pas seulement mais meurent « égaux en droits et en dignité » et dire que le suicide assisté ou l’euthanasie permettent, en certaines situations, une mort « plus » digne n’a pas de sens.

Chacun peut en revanche relier le sentiment qu’il a de sa dignité à des aptitudes à comprendre, réfléchir, prendre des décisions ou à une qualité de vie. Lorsqu’une personne estime que sa vie n’est plus digne d’être vécue — sentiment tout à la fois naturel, aisément compréhensible dans un certain nombre de situations, mais aussi tragique car la représentation que nous nous faisons de notre dignité est liée au regard que les autres posent sur nous — faudrait-il lui donner la possibilité de mourir prématurément ?

Le Comité souligne que les deux conceptions de la dignité expriment des significations très différentes du mot et ne s’excluent pas a priori l’une l’autre. Il souligne aussi que c’est la lutte contre les situations objectives d’indignité qui doit mobiliser la société et les pouvoirs publics : non-accès aux soins palliatifs pour tous, isolement de certaines personnes à la fin de leur vie, mauvaises conditions de vie et défaut d’accompagnement des personnes malades et handicapées rendant impossible pour elles la fin de vie à domicile. La situation la plus indigne serait celle qui consisterait à considérer autrui comme indigne au motif qu’il est malade, différent, seul, non actif, coûteux… Mais par ailleurs, le passage de la dignité-décence à la dignité-liberté qu’opèrent certains ne laisse pas intacte la dignité entendue comme garante de l’égale valeur de tous les êtres humains, quelle que soit leur condition. Regarder l’assistance au suicide ou l’injection létale par un médecin comme une réponse possible au sentiment intime d’indignité ou à la crainte de perdre sa dignité entendue comme plénitude de ses facultés, voire capacité à être suffisamment heureux et autonome, peut avoir pour conséquence de donner à des personnes vulnérables le sentiment de leur « indignité ». Et cette crainte peut aussi s’exprimer s’agissant de la possibilité qui a été donnée aux personnes malades de refuser tout traitement vital, donc de choisir de ne pas prolonger leur vie.

La valeur de chacun en tant que personne

Il existe donc une tension certaine entre la nécessité d’accorder sa place au sentiment personnel de dignité et le risque que cette dignité soit confondue avec la dignité inaltérable qu’il appartient aux proches et aux soignants de respecter chez les personnes en état de grande vulnérabilité en leur prodiguant soutien, réconfort et affection. Au plan de la société, il faut prévenir la marginalisation de tous ceux qui sont vulnérables, soit en raison de leur santé, soit par leur difficulté, voire leur inaptitude à trouver leur place au sein de la société ou de leur entourage proche.

La culture ambiante disant assez que la valeur de l’homme tient à sa capacité d’agir, de produire et d’être rentable, ainsi qu’à sa faculté de s’épanouir, il est essentiel de ne pas perdre de vue que la dignité est aussi cette valeur inaltérable qui peut, sans l’abolir, entrer en confrontation avec la liberté individuelle.

Source : http ://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_121_0.pdf. Les intertitres sont de notre rédaction.