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Le suicide religieux assisté

24 février 2015

Dans un des chapitres du livre How the West Really Lost God: A New Theory of Secularization (Comment le monde occidental a vraiment perdu Dieu : une nouvelle théorie de la sécularisation), Mary Eberstadt explique que le déclin des églises protestantes les plus anciennes d’Europe et des Etats-Unis est lié aux changements doctrinaux qu’elles ont opérés dans les domaines concernant la contraception, le divorce, l’avortement et l’homosexualité. Ce qui a contribué à son tour à la fragilisation de la famille en Occident.

Nous avons sélectionné quelques paragraphes de cet ouvrage.

(…) Ces efforts réformistes ont peu à peu contribué à un dénouement inattendu : ils ont affaibli au propre comme au figuré la famille naturelle, les fondations sur lesquelles étaient basées ces mêmes églises. Dans leur zèle pour attirer les individus qui souhaitaient un relâchement de la doctrine chrétienne, les églises ont progressivement oublié d’assurer leurs arrières : les familles saines dont les membres devaient se reproduire, au sens littéral, mais aussi dans le sens figuré, celui de transmettre la religion. Ici nous voyons à nouveau l’effet puissant de la double hélice famille et foi.

(…) Depuis le début, le christianisme soutient un code moral, un code sexuel strict comparé aux autres religions (…) La surprise historique n’est donc pas tant que les réformistes s’efforcent de le rendre plus supportable, mais bien que le code soit resté intact, si longtemps, au centre de la chrétienté : plus ou moins jusqu’à la réforme. C’est alors que le clergé commença à détricoter la moralité sexuelle : cela remonte à des siècles, bien avant la révolution sexuelle, et en tirant particulièrement sur le fil du divorce.

Comme le dit Roderick Phillips dans Untying the Knot: A Short History of Divorce (En dénouant le nœud : une brève histoire du divorce) : « (…) Les réformistes, dirigés principalement par Luther et Calvin, non seulement rejettent la doctrine catholique concernant l’indissolubilité du mariage, mais pratiquement tous les aspects de la doctrine sur le mariage ».

(…) Aux Etats-Unis, d’après Phillips, les églises anglicanes ont rapidement commencé à assouplir les restrictions les plus strictes, de telle sorte que le divorce s’obtenait plus ou moins facilement selon le lieu de résidence. Pendant ce temps, bien que les anglicans étaient à la traîne des épiscopaliens, vers la moitié du 18ème siècle, le Parlement anglais légalisa — en théorie et en pratique — le divorce. Il n’était pas fait usage à large échelle de cette disposition, mais elle démontrait que l’indissolubilité connaissait des exceptions. Peu à peu, le nombre de personnes renonçant à leur mariage augmenta, et la stigmatisation sociale et religieuse associée au divorce s’atténua. A partir du synode général de 2002, les anglicans divorcés peuvent se remarier à l’Eglise, ce qui efface toute possible trace de bavure.

L’exception devient la norme

(…) La tentative anglicane d’alléger le code moral chrétien en ce qui concerne spécifiquement le divorce révèle un processus qui apparaît clairement, à plusieurs reprises, dans l’histoire de l’expérience que j’ai baptisée Christianity Lite (« christianisme light [léger] ») : premièrement, on fait des exceptions limitées à la règle ; ensuite ces exceptions cessent d’être limitées et deviennent la norme ; finalement, cette nouvelle norme est consacrée comme un concept théologiquement acceptable.

C’est exactement le même processus qui apparaît dans un autre exemple d’effort pour démêler un des fils de l’enseignement moral et le sortir de son contexte : le désaccord concernant la contraception. (…) Exactement comme dans le divorce, l’approbation anglicane de la contraception est née de la compassion pour la fragilité humaine, au souci d’être à la page, et avec la conviction qu’elle serait limitée aux cas exceptionnels. (…) Très rapidement, les contraceptifs furent non seulement approuvés théologiquement dans certaines circonstances difficiles, mais devinrent progressivement la norme. (…).

Considérons maintenant un troisième exemple du même processus historique qui s’est développé dans un autre domaine : le désaccord sur l’enseignement chrétien traditionnel contre l’homosexualité. (…).

Quel est le motif de cette transformation extraordinaire ? En partie, un autre facteur que les réformistes de Lambeth n’ont pas prévu et qui, a posteriori, était cependant évident : la force de l’enchaînement logique qui va de l’acceptation occasionnelle de la contraception à l’exaltation de l’homosexualité. (…). Robert Runcie, qui fut archevêque de Canterbury, a par exemple justifié sur cette base sa décision personnelle d’ordonner des hommes homosexuellement actifs. Dans une entrevue radiophonique à la BBC, en 1996, il cita la Conférence de Lambeth de 1930, signalant qu’« une fois que l’Église admit… que l’activité sexuelle faisait partie du bien-être humain, et constituait même une bénédiction en marge de l’idée de procréation (…) alors, qu’en est-il des personnes qui se consacrent à l’expression homosexuelle, incapables de s’exprimer hétérosexuellement ?  »(…).

Pour le dire autrement, le rejet de l’interdiction de la contraception fut précisément l’origine du changement diamétral des anglicans quant à l’homosexualité (…).

Tout comme les anglicans, l’Église Luthérienne Évangélique d’Amérique (ELCA) a démontré qu’il est impossible de tirer un seul fil de la trame morale sans entraîner tous les autres. En 1991, une Déclaration Sociale affirmait que l’avortement, considéré comme un péché grave presque universellement tout au long de l’histoire chrétienne, pouvait être une option moralement responsable dans certaines circonstances (…).

Le déclin des églises laxistes

L’ELCA, l’entité luthérienne la plus grande et la plus libérale des Etats-Unis, est aujourd’hui confrontée aux mêmes problèmes que la communion anglicane : menaces de schisme, paroisses sécessionnistes, fonds en baisse, et autres problèmes institutionnels liés à l’abandon du dogme.

Les autres églises protestantes majoritaires sont menacées du même sort : en plus de l’église épiscopalienne et de l’église luthérienne évangélique, s’ajoutent l’église presbytérienne des États-Unis, l’église unie du Christ, l’église méthodiste unie et l’église baptiste américaine. En décembre 2009, le Groupe Barna a observé, d’après les derniers chiffres, que toutes les églises majoritaires semblent être « dans le gouffre d’un déclin ». En général, le financement s’amenuise, les chiffres baissent, le nombre de jeunes dégringole particulièrement, le nombre de missionnaires décline lui aussi rapidement (une excellente mesure de la vitalité de la foi). Même les œuvres sociales pour lesquelles les Églises étaient connues diminuent aussi : le volontariat, d’après les chiffres de Barna, a diminué d’un facteur impressionnant de 21% depuis 1998.

(…) On pourra bientôt dire la même chose de beaucoup d’autres églises, y compris celles qui sont majoritaires dans le protestantisme. Il n’en va pas de même des autres qui n’ont pas rejeté le code moral traditionnel mais qui s’y sont accrochés : les mormons, les églises évangéliques traditionnelles, les pentecôtistes ou les églises anglicanes de ce qu’on appelle aujourd’hui « le Sud global » et qui défendent fermement les enseignements moraux du christianisme contre le paganisme de leurs propres sociétés et aussi contre les chrétiens réformistes sécularisés d’Occident.

Qu’en est-il de l’Église catholique ? Malgré sa défense théologique de la famille, elle a aussi observé une diminution significative de la pratique religieuse, surtout en Europe (…). Mais il est certain que les zones les plus vibrantes du catholicisme sont aussi les plus orthodoxes (…).

Tout cela nous permet de conclure que cette manie de retoucher la doctrine, qui commença avec la réforme, a eu au moins un effet collatéral évident : il a affaibli les églises elles-mêmes (…).

Certains acclameront ces conséquences au nom de la libération, et d’autres pleureront le monde perdu qu’elles représentent. Mais il ne fait pas de doute que les changements doctrinaux ont contribué à vider les églises. Comme confirmation de l’effet du facteur famille, ce processus constitue une partie importante, et paradoxale, de l’histoire expliquant comment le christianisme s’est volatilisé dans beaucoup d’esprits et de foyers occidentaux.

 

Mary Eberstadt est une essayiste américaine, senior fellow au Ethics and Public Policy Center (Washington DC). Cet article a été publié sur https://www.aceprensa.com/religion/fe/el-suicidio-religioso-asistido/. Il a été traduit de l’espagnol par Carine Therer.