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Les avantages de l’école non mixte

23 juillet 2012

Une professeur de droit américaine prend la défense de l’enseignement séparé pour garçons et filles. Elle va jusqu’à proposer ce modèle à l’école publique.

 

Aux Etats-Unis, l’éducation mixte dans les écoles publiques était un principe intangible jusqu’aux années nonante et elle était protégée par des lois fédérales. En 1996, une journaliste millionnaire créa la Young Women’s Leadership School à l’est de Harlem, à New York. Il s’agissait d’une école destinée à des filles — seulement des filles — de familles pauvres, présentant un taux élevé d’abandon scolaire, de grossesses prématurées, etc. Des groupes féministes et de défense des droits civils attaquèrent le centre. Les experts du gouvernement se demandèrent s’il était légal que cette école reçoive de l’argent public. Mais les résultats académiques furent indiscutables : 100 % des élèves accédèrent à l’Université. C’est alors qu’éclata aux Etats-Unis le débat sur la question de savoir si l’éducation non mixte devait faire son entrée dans l’école publique. Rosemary Salomone, Professeur de Droit Constitutionnel de l’Université St. Johns de New-York et féministe déclarée, défend ces collèges lorsqu’on prétend réduire leurs droits à recevoir des subventions.

Pouvez-vous nous raconter la fin de l’histoire, s’il vous plaît ? Qu’est-il advenu du collège des filles de Harlem ?

— Il continue de fonctionner avec un grand succès académique. Ses élèves sont des filles pauvres, pauvres, pauvres. Dans le quartier, il est normal que les filles aient une deuxième grossesse vers 16 ans. Elles n’avaient aucune possibilité d’avenir. Cette école leur a transmis l’idée qu’elles pouvaient avoir une vie intellectuelle ! Son modèle éducatif met l’accent sur les matières scientifiques. Jusqu’alors, les écoles de filles enseignaient la coiffure, la couture ou le secrétariat…

La société nord-américaine a-t-elle accepté cette école ?

— L’école s’est trouvée face à une grande opposition idéologique et même légale. Elle a été confrontée à un fort rejet de la part de groupes féministes et de défense des droits civils, qui considéraient cette tendance discriminatoire. Il y a eu des protestations face aux responsables de l’Education de l’administration Clinton. Le gouvernement commanda des études pour analyser si l’école était légale et si elle devait recevoir des subventions.

Leadership des filles

Et elle a obtenu des subventions publiques ?

— En 2002, le Congrès des Etats-Unis approuva une loi qui autorisait des centres d’éducation non mixte, ou prévoyant des classes séparées pour garçons et filles, à recevoir des fonds publics. Cette réglementation fut soutenue tant par des démocrates que par des républicains. Ces centres étaient considérés comme un projet d’innovation pédagogique. Mais le succès du collège de Harlem a permis d’ouvrir le débat sur l’éducation séparée, qui jusqu’alors était interdite dans l’école publique aux Etats-Unis. Des études furent publiées, qui contribuèrent à attiser ce débat parmi les experts.

Quel type d’études ?

— Des études qui montraient, d’une part, que les filles, dans l’adolescence, souffraient de problèmes d’auto-estime, et, d’autre part, qu’elles avaient de moins bonnes notes que les garçons dans les domaines scientifiques. En plus, on a détecté des taux élevés d’échec scolaire parmi les garçons.

Qu’est-ce qui différencie ces écoles nord-américaines ?

— Ils mirent en place des programmes d’enseignement renforcé en mathématique et en sciences pour les filles. Dans les collèges non mixtes, elles ont de meilleures notes dans ces matières et plus d’élèves optent pour des carrières scientifiques. Le modèle favorise le développement personnel des filles et leur capacité de leadership, en plus de leur offrir un environnement qui aide à se centrer dans le travail académique et une plus grande perspective pour l’option universitaire.

D’autres centres ont été ouverts ?

— Ce modèle s’est développé dans de grandes villes des Etats-Unis comme Dallas, Boston ou Chicago. Il y en a un qui s’est ouvert, le Queen Campus, dans le quartier difficile du Bronx de New York. A l’heure actuelle, il y a déjà plus de cent écoles publiques d’éducation non mixte et 1.700 qui adoptent ces programmes de séparation garçons-filles dans certaines étapes du parcours pédagogique ou pour certaines classes. Mais, contrairement à ce qui se passe en Angleterre ou en Espagne, où ces écoles s’associent à des centres religieux ou d’élite, aux Etats-Unis elles sont des établissements publics où sont scolarisés des enfants mineurs de quartiers pauvres, principalement pour donner plus de chances aux filles.

Aux Etats-Unis, le fait que le responsable de l’Education du gouvernement d’Obama, Arne Duncan, soit un défenseur de ce modèle éducatif a-t-il pu avoir une influence sur ce débat ? L’ouverture de ces centres publics est-elle autorisée sans problèmes ?

— Non. Il faut justifier la raison pour laquelle on sépare les filles des garçons afin d’éviter l’impression d’une discrimination sexuelle. Il doit y avoir une raison de poids ; par exemple, le fait d’obtenir un plus sur le plan académique ou de contribuer à augmenter le rendement des élèves immigrants ou issus de familles pauvres. Ils doivent disposer de programmes, de curriculums, de moyens matériels et d’équipes de professeurs, ainsi que d’installations comparables aux autres. C’est fort contrôlé.

Ils peuvent menacer le droit à l’égalité …

— Pas si l’on donne les mêmes contenus de cours que dans les autres écoles. Ils ne discriminent pas s’ils donnent plus de chances aux élèves, s’ils obtiennent de meilleurs résultats. Mais ce qui me paraît réellement fantastique, c’est le fait que ce modèle obtienne des succès sur le plan académique dans des centres publics, avec des enfants de milieux socioéconomiques faibles. Qu’ils aient les mêmes chances que les élèves des collèges d’élite.

« Ils ne sont pas pour tous »

Aujourd’hui, Rosemary Salomone parcourt le monde en donnant des conférences qui défendent le système des classes séparées aux Etats-Unis, grâce auquel on est arrivé à un consensus politique pour que ce projet ne soit pas réduit à l’enseignement privé et s’ouvre à l’école publique. Elle est passée par Madrid, invitée par la Confédération des Parents d’Elèves, et par Bilbao, grâce au groupe COAS, qui réunit les collèges d’éducation non mixte.

Vous êtes Professeur de Droit Constitutionnel à St. Johns University : comment avez-vous été embarquée dans cette croisade ?

— J’ai fréquenté un collège mixte. A partir d’un certain moment, j’ai été contrainte de choisir entre le fait d’être populaire ou d’être une bonne étudiante. Cela ne m’a pas plu. A 14 ans, on m’a emmenée dans un centre catholique de filles. Là, je me suis découverte moi-même. Je ne devais pas choisir. Je pouvais être populaire et bonne élève en même temps. Je me suis sentie plus forte. Des années plus tard, j’ai connu le cas de l’école de Harlem. Il m’a beaucoup impressionné et j’ai commencé à m’intéresser à ce modèle. Ensuite, le gouvernement m’a contacté pour que je les conseille quant à la légalité de ces centres.

Pensez-vous que ces collèges pourraient se multiplier et devenir à la mode ?

— Il ne s’agit pas de cela. L’école non mixte n’est pas bonne pour tous les enfants, ni pour tous les âges. Mais il y a des étudiants, particulièrement pendant l’adolescence, qui se sentent beaucoup plus forts et préparés au monde réel en sortant d’écoles non mixtes. Ce doit être une option supplémentaire, comme tout autre projet pédagogique. Ce doit être un choix libre et personnel, de chaque famille et de chaque élève.

Cette interview a été réalisée par Marta Fernández Vallejo pour le quotidien espagnol « El Correo », du 16-4-02. Elle a été publiée sous le titre « Les Collèges non mixtes favorisent la capacité de leadership des filles ». La traduction de l’espagnol au français a été réalisée par Carine Therer.